Pain au chocolat VS chocolatine : histoire d’un conflit régional
- Paul-Lionel Quiviger
- 2 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 mars

Le schokoladencroissant divise les Français depuis le XIXe siècle ! Le Sud-Ouest, qui refuse le terme pain au chocolat, n’a jamais su s’entendre avec le reste de la France qui réprouve l’appellation chocolatine. Mais qui a raison en définitive ? Reportage.
La querelle entre le Sud-Ouest et le reste du pays ne date pas d’hier. Mais c’est bien à Paris que le nom chocolatine est né. Son histoire remonte à 1837, lors de l’ouverture de la première boulangerie viennoise dans la capitale française. Les deux Autrichiens August Zang et Ernest Schwarzer en étaient les propriétaires. Et c’est dans leur échoppe du 2ᵉ arrondissement de la ville lumière que la viennoiserie a été produite pour la première fois en France, vers la moitié du XIXe siècle.
À l’époque, le nom de ce mets, rapidement fort apprécié par les Parisiens, portait le doux nom de : schokoladencroissant. Soit littéralement, croissant au chocolat. Mais une grande majorité des habitants de la capitale ne parlaient pas l’allemand-autrichien de manière courante. C’est par souci de simplification que le nom de cette viennoiserie fut alors abrégé en schokoladen, qui résonne “chocolatine” une fois prononcé. Cette appellation a très vite été adaptée à la grammaire française qui a fait le reste... Un usage encore employé dans le Sud-Ouest puisque les habitants de la région ont toujours refusé de faire évoluer son nom. Alors, si certains Gascons jouent les goguenards en revendiquant la paternité du mot chocolatine, il est désormais facile de leur rétorquer que c’est bien à Paris qu’est né ce qui deviendra plus tard… le pain au chocolat !
Même recette ?
Le distinguo nominal aurait été logique si les recettes variaient d’un nom à l’autre. Mais aujourd’hui, qu’elle se déguste dans les Landes ou bien en Alsace, cette douceur sucrée a peu de chances d’être différente en bouche (si ce n’est qu’elle dépend de la qualité des matières premières). Et pourtant, au commencement de la production des schokoladencroissant, la recette n’était pas du tout la même que celle du pain au chocolat actuel.
Revenons en arrière... Au moment de son arrivée dans l’Hexagone, à la fin du XVIIIe siècle - à ne pas confondre avec sa première date de production en France - cette pâtisserie importée de Vienne par Marie-Antoinette d’Autriche se présentait ainsi : du chocolat enrobé dans du pain classique. Ce qui était appelée alors chocolatine pour un temps désignait donc la recette originale. Mais comble du paradoxe, une fois la viennoiserie adoptée par les boulangers parisiens, ils décidèrent de délaisser l’appellation chocolatine pour pain au chocolat au moment où le pain a été remplacé par… de la pâte feuilletée. Un changement de nom à des fins marketing avec pour objectif de familiariser les consommateurs de cette viennoiserie avec ce qu’ils avaient pour habitude de trouver dans une boulangerie : soit du pain.
Partition du territoire
Fidèles à son nom d'origine, les boulangers du Sud-Ouest n’ont jamais abandonné la schokoladen. Et même si certains fournils des Deux-Sèvres s’amusent à vendre des pains au chocolat dans leur boutique, c’est avec humour. Car, la seule différence qui existe avec la chocolatine dans cette échoppe, c’est le prix. Là où un pain au chocolat est vendu à la somme faramineuse de 5 euros, la chocolatine est proposée au mercurial classique.
Même si le Sud-Ouest est indissociable de la chocolatine, le terme pain au chocolat n'est pas non plus absent du territoire. Une situation qui provoque l'ire des habitants et les grandes enseignes l'ont bien compris…“Depuis février 2024, tous les pains au chocolat proposés à la vente ont été renommés. chocolatines. Et cela, dans tout le Sud-Ouest, à partir de Bordeaux” témoigne la directrice d’une boulangerie Paul, célèbre chaîne lilloise de restauration rapide. Il y a quelques mois, elle a reçu l’ordre de son siège d’adapter le nom de ses viennoiseries dans sa boutique de Bayonne. Une mise à jour qui se faisait attendre par les consommateurs de la région toujours en chasse de pains au chocolat intrus.
Pain au chocolat pour les autres !
En dehors du seul Sud-Ouest, la chocolatine est inconnue au bataillon ou bien indésirable. Dans une boulangerie parisienne du 13ᵉ arrondissement, pas question de changer le nom de leur viennoiserie phare : “dans le Sud-Ouest, ils ont leurs traditions, même s’ils pensent que le pain au chocolat veut vraiment dire du pain avec du chocolat. Mais la bonne façon de l’appeler n’est pas chocolatine. Pas pour nous en tout cas !” Témoigne la vendeuse. Et d’ajouter “ça fera 1 euro et 20 centimes, s’il vous plaît”, car il était très difficile de résister à l’appel de leur chocolatine. Pardon, pain au chocolat.
Mais ce clivage n’est pas tant un match entre les territoires de la langue d’Oc et d’Oïl, puisqu’en Provence, commander une chocolatine à votre boulanger a de fortes chances de provoquer l’incompréhension. Ce conflit, qui a souvent enflammé les réseaux sociaux, reste très localisé et confronte le Sud-ouest seul au reste de la France, si ce n’est au reste du monde. Car, pour les touristes qui visitent l’Hexagone – plus de 80 millions tous les ans – le mot chocolatine leur est inconnu, pour une grande majorité d’entre eux. Certains boulangers comprennent même que lorsqu’un touriste demande : “one croissant with chocolate inside, please”, il attend d’être servi d’un pain au chocolat.
Si jamais ce conflit perdure à travers les âges entre les partisans des chocolatines et des pains au chocolat, une des solutions possibles serait de revenir à l’appellation originale : schokoladencroissant. Au grand dam du Sud-ouest et du reste de la France, l’Autriche sortirait alors grand vainqueur du conflit chocolatino-pano-chocolato, qu’elle a elle-même déclenché, sans le savoir, près de deux siècles auparavant.